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Au Sénégal, la période 2014-2017 est caractérisée par la multiplication des découvertes de gisements de pétrole et de gaz au niveau du bassin sédimentaire, ce qui marque un tournant décisif dans l’histoire politique et économique, même si, il faut le noter les recherches ont commencé depuis les années 50.

En effet, ces découvertes ont essentiellement porté sur les blocs de Sangomar offshore profond, Saint-Louis offshore profond et Cayar offshore profond où PETROSEN et ses partenaires ont découvert du pétrole et du gaz naturel entre 2014 et 2018.

Situé à 100 km au large de Dakar, le gisement offshore Sangomar profond, anciennement connu sous le nom SNE a été découvert en 2014. Ses réserves sont estimées à plus de 2,5 milliards de barils de pétrole brut et la production entre 100 000 et 120 000 par jour, selon les estimations. L’association CAIRN Energy, CONOCCOPHILIPS, FAR Limited et PETROSEN a entrepris, entre fin 2015 et 2018, l’évaluation de ce gisement avec le forage de 8 puits. Les réserves récupérables sont estimées à près de 630 millions de barils de pétrole. Le gisement renferme aussi du gaz naturel associé et non associé dont les réserves sont de l’ordre de 4 TCF (113 milliards de Nm3)[1].

Il est prévu trois phases pour arriver à une pleine exploitation ; la première étant le démarrage de la production du pétrole (75 000 à 125 000 barils par jour) prévu en 2022 et le début de la production du gaz (60 à 100 millions de pieds cubes par jour) prévu en 2023. Mais, le lancement de la production commerciale aurait été reporté à la fin 2023, du fait de la pandémie de covid19[2].

A ce propos, cette commercialisation devrait générer des résultats qui auront des impacts positifs sur l’économie du pays, suscitant de ce fait l’intérêt d’une bonne partie de la population. Cet intérêt grandissant pour ces ressources renseigne sur les enjeux qui sont techniques, énergétiques, écologiques, économiques mais aussi sur les grands défis tant en termes de bonne gouvernance, de transparence, que sur le plan environnemental et sécuritaire.

Le projet SNE-Sangomar a fait l’objet d’une étude d’impact environnemental et social (EIES) décrivant ses impacts potentiels sur les écosystèmes et les communautés locales. Du fait de sa localisation au large du delta du Saloum, zone riche en biodiversité marine et ornithologique, des interrogations sont nées autour du projet au sein d’organisations locales (de pêcheurs notamment) ou nationales qui ont rencontré ces dernières années les compagnies étrangères pour leur faire part de leurs inquiétudes et de leurs attentes, notamment en matière de compensation[3].

En effet, l’exploitation du pétrole et du gaz ne sera donc pas sans conséquence sur l’avenir économique et social du pays, dans la mesure où de nouveaux métiers vont apparaître tandis que d’autres risques de disparaitre ; c’est le cas du secteur de la pêche artisanale qui est l’activité principale de plusieurs communautés le long du littoral sénégalais.

Il demeure donc légitime que les communautés sachent ce qui est prévu, en cas d’exploitation effective, pour qu’elles puissent faire face à d’éventuelles perturbations ou remise en question de leurs activités.

C’est dans ce cadre que l’ONG Action Solidaire International, dans le cadre du « Projet d’Appui aux Communautés Impactées », financé par la Fondation Européenne sur le Climat (ECF), a organisé un atelier d’échanges et de partage sur les enjeux et défis liés à l’exploitation du pétrole. Elle s’est tenue dans la Commune de Foundiougne et a regroupé les représentants des CLPA de Foundiougne, Missirah, Toubacouta, Niodior, Bassoul, Djirnda, Sokone, Fimela et Palmarin ainsi que les autorités administratives et locales, le Club Changement Climatique de Foundiougne, les ONG intervenant dans la zone et la presse locale.

Objectifs

La rencontre avait pour objectif, d’une part, de connaitre les effets que ressentent ou vivent les communautés de pêcheurs dans les zones proches de Sangomar par rapport à l’exploitation du gaz et du pétrole ; d’autre part, de réfléchir sur des solutions à préconiser pour faire face à ces défis, notamment dans le cadre du Contenu Local. Elle a ainsi permis de susciter le dialogue entre les acteurs de la pêche, de la société civile, de l’administration et des autorités locales autour des enjeux liés à la future exploitation du pétrole par rapport au secteur de la pêche.

Déroulement de l’atelier

Les mots de bienvenue ont d’abord été prononcés par le Directeur de cabinet du Maire de

Foundiougne, qui assurait aussi la modération de l’atelier et qui est revenu sur le souhait que le pétrole soit une bénédiction pour le pays et l’importance ITIE.

Ensuite, le Représentant du Maire a salué l’importance de la rencontre.

Le Coordonnateur régional du réseau des CLPA a suivi en insistant sur l’importance de ces sessions pour les pêcheurs qui, même s’ils ne sont pas encore impactés, sont toutefois exposés pour ce qui est, en plus des effets des changements climatiques.

Le Directeur exécutif de ASI est revenu sur le processus de consultation des CLPA concernant la problématique de l’exploitation du pétrole et du gaz et sur les étapes prochaines du projet.

En dernier, l’Inspecteur Départemental des Pêches de Foundiougne, Représentant le Préfet, est revenu sur les caractéristiques de la zone de Sangomar qui dispose d’un écosystème fragile. La thématique est une préoccupation des CLPA qui ont toujours cherché à avoir des réponses à leurs questions, notamment sur le CL, les probables impacts de l’exploitation, la sensibilisation et le plaidoyer dont ils auront besoin pour mieux bénéficier de cette exploitation.

Deux présentations ont été faites, à l’attention des participants.

Présentation 1 : PROFIL PÊCHERIES ARTISANALES FATICK

Cette première présentation a été faite par l’Inspecteur Départemental des Pêches de Foundiougne, M. Mamadou WADE.

Il a mis l’accent sur l’importance du sous-secteur de la pêche sur l’économie de la zone et la vie socio-économique des populations de la région de Fatick. Son importance, du point de vue de la biodiversité, explique l’existence de plusieurs aires et réserves protégées. L’écosystème de la zone, constitué essentiellement de mangroves, avec trois bras de mer et d’une façade maritime qui s’étend de

Palmarin à Djinack sur environs 65 km, dispose d’environ 120 espèces de poissons appartenant à des groupes écologiques d’intérêt commercial.

Plus de 3.000 embarcations répertoriées dans la base de données régionale de Fatick, et divers engins de pêche sont utilisés dans la zone.

La transformation artisanale reste l’activité de prédilection des femmes. Cependant, elles font aussi face à la problématique des changements climatiques du fait du bois qu’elles utilisent.

A cela s’y ajoutent les difficultés relatives à la surexploitation des ressources, la dégradation des écosystèmes marins et côtiers, le manque d’accès à des financements adaptés, les besoins en renforcement de capacités des acteurs, etc.

Cependant, la découverte du pétrole et du gaz et les changements climatiques, imposent de nouveaux défis à relever pour une préservation de la sécurité alimentaire, des emplois, de la diversité biologique et écosystémique.

Présentation 2 : Dispositions légales sur le contenu local dans le secteur des hydrocarbures

Cette présentation a été assurée par M. Omar CISSE, Spécialiste en Développement communautaire et représentant de la Société Civile dans le Comité National de Suivi du Contenu Local (CNSCL).

Il est revenu sur le potentiel pétrolier avec les différents gisements qui ont été découverts, a passé en revue les différentes phases d’explorations depuis 1960, en passant par les gisements de pétrole et gaz qui vont être exploités et leur localisation., tout en rappelant les risques consentis par les entreprises dans l’exploration. Avec ces découvertes, le Sénégal devient le 5e pays producteur de gaz en Afrique et le 27e dans le monde.

Il est prévu, pour l’exploitation, un partage des bénéfices comme suit : reprise des frais d’investissements par l’entreprise, 30% pour impôts et domaines, 11% pour Etat et 18% pour PETROSEN.

Ensuite, le focus a été mis sur le Contenu Local en partant de sa définition aux atouts des acteurs, en passant par le contexte et la justification de la loi sur le Contenu Local, ses outils de mise en œuvre et d’opérationnalisation, les ambitions du Contenu Local sénégalais.

Le contenu local est défini comme la prise en compte, par une entreprise multinationale, de l’expertise locale du pays dans lequel elle est implantée dans ses processus de production.

Au Sénégal, il est régi par la loi n°2019-04 du 1er Février 2019 relatif au Contenu Local dans le Secteur des Hydrocarbures. Aux termes de cette loi, le contenu local se rapporte à l’ensemble des initiatives prises en vue de promouvoir l’utilisation des biens et des services nationaux ainsi que le développement de la participation de la main-d’œuvre, de la technologie et du capital nationaux dans toute la chaine de valeur de l’industrie pétrolière et gazière.

En vertu de cette loi, le niveau d’implication de l’expertise locale est classé en trois régimes à savoir un régime exclusif, un régime mixte et un régime non-exclusif. Elle précise aussi les obligations auxquelles sont soumises les multinationales, de même que les sanctions y afférentes.

Les outils de mise en œuvre du Contenu Local sont le Comité National de Suivi du Contenu Local, la Plateforme Electronique et le Fonds d’Appui.

Au-delà de ces présentations, les acteurs ont apporté leurs contributions.

Discussions

Les interventions ont porté sur plusieurs points, allant des impacts constatés sur l’écosystème à la nécessité de s’organiser pour le plaidoyer, en passant par les besoins des acteurs dans le cadre de cette exploitation.

Les impacts constatés par les communautés résultent aussi bien des effets des changements climatiques que de la modification de l’écosystème, avec l’installation de la plateforme. Il s’agit de l’avancée de la mer, de la mort des tortues de mer et, par conséquent, du risque de disparition du secteur de la pêche et de l’agriculture.

Spécifiquement, le constat de cette année est une forte raréfaction de la ressource halieutique. Cela a une incidence sur un secteur dérivé de la pêche, la transformation de produits halieutiques. Elles vivent déjà les impacts du fait de la raréfaction de la ressource causée en partie par l’exploration. La région ne dispose pas de quai, et elles ne sont pas rémunérées à hauteur de leurs efforts. De ce fait, elles ne peuvent plus assurer certaines dépenses dont l’éducation et la formation de leurs enfants.

En ce qui concerne les besoins des acteurs, ils portent essentiellement sur la nécessité d’un meilleur accès à l’information ; Woodside, la compagnie d’exploitation dans la zone, est un partenaire des CLPA dans la zone et a initiée plusieurs rencontres avec eux. Cependant, les éclaircissements, les informations obtenues de cette session sont inédites. Les populations doivent être averties sur les probables risques liés à l’exploitation (modification des écosystèmes, accidents…). Les femmes transformatrices ont besoin d’accompagnement pour une meilleure formalisation et valorisation de leurs produits. Les communautés proches de l’exploitation doivent être priorisées dans la mesure où les impacts sont réels et elles sont les premières à les ressentir. Chaque étape de l’exploitation a un impact sur l’écosystème marin. Les populations ne sont pas assez outillées pour faire face aux impacts pouvant découler de l’exploitation. La pollution marine a déjà commencé et la zone subit un fort exode de jeunes. Donc, les risques environnementaux existent, surtout au moment du forage. Mais, on ne dispose pas encore d’évidences scientifiques.

Pour ce qui est de la loi sur le CL, les acteurs estiment qu’elle ne prend pas en compte les risques de marées noires et les stratégies d’adaptation des communautés, le cas échéant.

Un autre point important est le plaidoyer des acteurs. Les acteurs doivent être accompagnés et renforcés pour faire le plaidoyer. Il faudrait donc procéder à une identification des acteurs pour une meilleure prise en compte de leurs problèmes. Cela permettra une meilleure organisation des acteurs, et aussi de résoudre le problème de suivi des fonds alloués aux communautés par les entreprises.

En réponse aux interpellations, il a été retenu que pour le quai de pêche, sa rénovation est en négociation et va commencer incessamment ; pour ce qui est de l’exploitation, le risque zéro n’existe pas et les moyens pour faire face aux catastrophes sont énormes (en mer, pour le gaz, il faut au moins 11 mois pour arrêter un feu) ; et une EES est commanditée pour mieux se préparer. A propos de l’indemnisation, le problème reste selon les autorités, la non appropriation des zones. Cependant, il est prévu une discrimination positive.

Recommandations

Plusieurs recommandations, allant dans le sens d’une meilleure organisation des acteurs ont été émises.

  • Les acteurs doivent mieux s’organiser pour porter leur propre plaidoyer. -Les communautés doivent être dédommagés en fonction du préjudice.
  • Un plan de travail devrait être établi par les acteurs pour leur plaidoyer
  • Il est important d’amorcer dès à présent un changement de comportement.
  • Il faut une mise à niveau des acteurs pour la reconversion vers des métiers connexes -Les fonds destinés aux communautés doivent être remis aux ayant-droits et contrôlés.
  • Il faut une concordance des objectifs de certains projets par rapports aux attentes des acteurs
  • La RSE doit aussi être opérationnalisée

[1] https://www.petrosen.sn/index.php/projets/petroliers/

[2] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/22/ausenegallesperspectivesdexploitationspetrolieresseloignentunefoisdeplus_6040437_3212.html

[3] Fary NDAO, Note d’orientation sur « La gouvernance des ressources pétrolières et gazières : Etat du débat et perspectives »